• Nouveau Nouveau Nouveau Monde Chapître 4

    IV

     

    Philippe avait peur ce matin, peur de qui, peur de quoi. Peur de ne pas assumer ce qui se passait. Sa propre vie lui échappait. Le sentiment de maîtrise qu’il donnait paraissait en cet instant une pure illusion. Il devait intégrer la vibration et en produire quelque chose dans le monde des hommes. Appartenait-il encore au monde des hommes ? Il n’avait pas de maître, pas de clan, pas de groupe où il pourrait déposer ce qui lui apparaissait aujourd’hui comme un fardeau. Ce qui lui était le plus désagréable en ce matin pluvieux, c’était le sentiment d’être déchiré entre deux mondes. Celui des heures passées à espérer que le monde soit meilleur et celui de la vibration, celui du pouvoir, celui de ce renouveau où ce matin il ne se reconnaissait pas. Il ne supportait plus tous ces livres qui l’avaient accompagné pendant tant d’années. Il était en train de sortir du bocal mais ses poumons n’étaient pas prêts pour respirer ce nouvel air d’une nouvelle ère, du nouveau monde, du nouveau, nouveau, nouveau monde. De ce déséquilibre que pouvait-il faire, attendre, attendre, attendre. Son intuition lui disait qu’il ne devait rien décider, que tout devrait se faire comme çà. Une intuition, et on y va, un mèl, une rencontre, quelques boules de loto ou de lumière, un temps d’amour, attendre encore, ne rien décider. Si le monde pouvait contenir la vibration qu’il portait, l’ouverture se créerait, si le monde n’était pas prêt, tout s’arrêterait et l’histoire des hommes continuerait dans le même chaos. Pourquoi lui si seul, si isoler pour porter un message de déraison total et foutre en l’air le système. Philippe avait toujours eu le sens du sacrifice mais là il craignait de monter sur la croix. Une croix bien petite en faite car il n’allait pas racheter les péchés du monde quelqu’un l’avait déjà fait avant lui, il allait porter un coup fatal au monde objectif et ouvrir la brèche nécessaire pour que l’humanité perçoive d’autres lois. Pour cela il fallait du crédit, et pas du financier, il fallait être crédible. Avait-il choisi de tenter de passer à cette émission ? Même à cette question il ne pouvait pas répondre. Et si lors de ce passage espéré, il ne se passait rien que du ridicule, si personne n’adhérait ou au contraire si très vite sa vie était menacée. Dans le premier cas il retournerait à ses pinceaux, quel plaisir … et quelle frustration, retourner ainsi définitivement dans l’espérance, redevenir spectateur, quel soulagement. Mais le destin semblait l’avoir choisi, pour être acteur, acteur du changement, et d’un changement brutal. Il pensait qu’il ne devait pas être seul dans son cas car si l’énergie nouvelle est là d’autres doivent aussi être en capacité de l’intégrer. Il n’était qu’un dépositaire, devenir propriétaire ou se croire propriétaire c’était la folie assurée, l’internement, le suicide. Il lui fallait un signe, signe qu’il n’est pas seul, et un groupe de rattachement, des personnes qui l’aideraient pour intégrer tout cela. Une idée lui vint, refaire du vélo, pour sentir son corps fatigué, son cœur battre fort, pour sentir les endomorphines adoucir ses pensées, pour sentir qu’il appartient à la nature. Pour continuer, il fallait partir. Pour quelque temps ou pour toujours. Revenir en arrière pour franchir le pas, prendre de l’élan.

     

    Sylvie avait peur aussi ce matin, Emeline l’avait embarquée dans cette drôle d’histoire, en elle les résistances était certaines et elle ne les comprenait pas. Ces rêves avaient été étranges cette nuit. Un homme lui remettait une sorte de parchemin. Ce document avait été en d’autres temps signé de son nom. L’homme n’avait rien de sympathique, sa physionomie était d’une grande austérité, et bien qu’il ne dit mot tout portait en lui le caractère du jugement comme si elle avait trahi, trahi la parole des siens, comme si il venait lui rappeller qu’elle s’était engagée sur une autre voie qui remettait en cause beaucoup de choses. Se cacher, son instinct la guidait à se cacher. Elle s’était réveillée beaucoup plus tôt que d’habitude, s’était levée et avait pensé qu’ainsi elle aurait une grande journée. Mais ce rêve la taraudait, elle s’était allongée vers huit heures sur son lit, un demi-sommeil l’avait envahi et tout son remord remontait. Mais de quoi ai-je peur ? Je participe à une aventure qui ne devrait que me séduire et je suis pétrifiée comme si je ne choisissais pas le bon camp et que mon existence était en péril. Le sentiment venu de son subconscient n’était pas neutre et Sylvie recherchait dans son histoire les fils qui pourraient lui permettre de donner sens à son état. Il lui vint quelques prières qu’elle se racontait lorsqu’elle était petite fille. Puis un mot surgit d’elle-même la rédemption, qu’avait-elle fait pour se sentir coupable à ce point, que devait-elle racheter ? Elle s’entendit égrener toutes les formules magiques de l’église. Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais … Mais une évidence lui vint, c’était la boule de lumière qui faisait son office. Alors que depuis deux décennies son histoire personnelle n’avait pas grand chose à voir avec l’éducation religieuse qu’elle avait reçue, elle se retrouvait à 32 ans en train de vivre quelques chose de l’ordre de la purification. Il était 9h30, son désir était de voir Claudine, elle ne savait pas pourquoi, elle voulait la voir, et évoquer ce qu’elle vivait. Le rêve avait travaillé en elle. Je deviens bigote ou quoi murmura t-elle. En appelant Emeline, elle pourrait prendre contact avec celle dont la rencontre avec la voyante l’avait sidéré.

     

    Claude ne se reconnaissait pas ce matin, il ne pouvait plus construire mentalement ces plans habituels, le seul scénario possible pour favoriser la rencontre de Philippe et de l’animateur, était de lui dire au plus près du réel, ce qui s’était passé. Lui dont la difficulté habituelle était de choisir entre les multiples plans qu’il échafaudait au fil des heures, n’avait qu’un itinéraire aujourd’hui à proposer au groupe. Tout cela lui semblait d’une telle évidence. Son esprit allait même encore plus loin, il n’avait rien à porter, ni pour le groupe, ni pour Emeline, ni pour personne. L’énergie était autoporteuse en quelque sorte et ça s’était vraiment reposant. Il décida de proposer à Emeline une rencontre du groupe pour partager son sentiment.

     

    Rachel était très malade, des nausées permanentes, des spasmes dans le bas du corps, des vertiges, les intestins en folie, de la colère, du désespoir, de l’inquiétude, de l’anxiété à se voir dans cet état. Rachel était malade, Rachel vomissait. Pour Issa c’était tout bon, le monde allait changer, tout allait basculer, il n’y avait aucun doute et lui n’avait qu’une envie, le dire, en parler, le chanter.

     

    Son cœur atteignait les 165 pulsations, franchir ce col sans entraînement état un pur délice, il avait mal partout et pourtant appuyer sur ses pédales étaient son moyen en l’instant de survie, il percevait après trois kilomètres que son état mental se modifiait, l’accouchement était proche, l’effort lui lessivait le cerveau et l’énergie pouvait prendre place. Le plan se déroulait comme une ultime évidence. Ce n’était pas une simple info qu’il allait pouvoir transmettre, c’était le tout. Ce qui allait faire chuter l’empire, la prédiction du hasard n’était que la formule d’entrée, l’entrée de cupidité nécessaire au passage. Des formules mathématiques se gravaient en lui, des symboles chimiques, des expériences à conduire, des gens à soulager, des maladies à éradiquer, des formules nouvelles, de l’énergie pour tout le monde, des secrets dévoilés, des forces à combattre, il n’avait rien à faire, le tout prenait possession de lui. La maitrise de la temporalité, du déroulement du temps. En un instant les fondations de l’économie libérale basée sur le secret et le pouvoir de l’argent n’aurait plus lieu d’être. Comment pourrait-il diffuser tout cela ? Tout avait commencé par un mail, tout se poursuivrait ainsi. En même temps que l’enregistrement de l’émission, les mêmes informations devraient partir dans le plus grand nombre de points possible du globe. Pour cela, Michel pouvait l’aider. Le col franchit, le retour fût rapide et sans surprise, la douche fût rapide et Philippe s’installa sur son clavier. Six heures après, trente page de textes et formules avait noircit l’écran. Il était suffisamment tard pour dormir. Philippe ne s’inquiétait même pas de cette coupure. Demain, il allait écrire la théorie des ondes de formes productrice d’énergie électrique à basse tension qui permettrait à tous citoyens de produire son énergie domestique. Ses trente premières pages permettaient d’éradiquer le sida, la variole, le paludisme, la fièvre jaune, la tuberculose, les hépatites. Sur le cancer rien n’était sorti, ni sur les maladies génétiques.

    La théorie des ondes de formes lui prit la matinée, les protocoles d’expérimentation précisées, les procédures de mise en fabrication décrit. L’après-midi, la théorie de la nouvelle économie mondiale construite sur la valorisation des personnes comme objectifs transversales à toute production. La soirée se poursuivit par la place de l’art et de la création dans les mécanismes de régulations sociales et les principes de l’ouverture des champs créatifs dans l’individu. La quête mondiale se centrait sur la découverte du potentiel humain. Les principes, les clefs d’ouverture, les processus et les buts étaient précisés avec comme but ultime atteignable la continuité de conscience entre la vie et la mort. Le lendemain la journée fut consacrée aux soins psychiques, et des liens entre la santé physique et les mécanismes énergétiques en l’homme. Plus de 200 pages avaient été écrite, sans une correction. Il n’était qu’une antenne et un décodeur. Le doute ne l’habitait plus. Il était prêt. Prêt à contacter ses nouveaux amis pour mettre en place le plan.

     

    Le groupe s’était réuni une nouvelle fois chez Emeline, Claude prit la parole :

    • je crois que nous ne pouvons que servir cette nouvelle énergie, j’ai le sentiment que cette expérience m’a modifié, je ne pense pas comme avant, avait-vous vécu des choses du même ordre ?

    Rachel était venue malgré son état physique.

    • Oui j’ai la perception que mon corps me lâche ou plutôt que mon cœur résiste je ne sais as trop à quoi.

    • Quant à moi, dit Grégoire, j’ai quelque chose à vous raconter. Depuis notre première rencontre avec Philippe, il s’est produit des choses étonnantes. Dans un premier temps, j’ai cru qu’elles n’étaient que le fruit du hasard. Je percevais des sons un peu étranges comme une radio à très bas volume, une voix qui réciterait un texte ou une poésie. J’ai contrôlé qu’il n’y avait rien en marche, j’ai même débranché les prises et enlevés les piles de tous les appareils électriques que je pouvais avoir. Entendant toujours ce murmure, j’ai coupé le compteur électrique. Dans le bruit ambiant de la ville et de la journée, cela ne me dérangeait pas trop, par contre le soir je m’endormais avec la télé ou la radio. J’ai commencé à flipper, je suis parti une nuit dans une forêt pour être sur que ce n’était pas des interférences extérieures, j’ai consulté un dentiste pour vérifier que je n’avais pas un morceau d’acier qui ne faisait pas office d’antenne. J’ai pensé que je devenais schizophrène et j’allais consulter un psychiatre, le volume était de plus en plus fort. Un soir, j’en avais trop marre, je me suis mis à boire et je pleurais tellement j’étais persuadé que j’allais vivre l’enfer. Je ne voulais en parler à personne. Je me suis pris la tête entre les mains, je pleurais de plus en plus fort et subitement il y eu un craquement dans ma tête, j’ai pensé rupture d’anévrisme, je suis mort. J’ai du perdre conscience quelques secondes, et j’ai écouté la voix.

    • Que te disait la voix cria Claudine

    • La peur n’a pas de place dans cette aventure, écoute je te parlerais lorsque tu le souhaiteras, je ne suis que toi et rien d’autres. Tu n’es ni fou, ni possédé. Je suis celui qui en toi sait que le temps est venu d’intégrer la nouvelle énergie, et cette énergie est porteuse de connaissance et d’amour.

     

    Le groupe était sidéré.

    Issa était excité comme une puce et ne tenait plus en place. Sylvie enchaîna sur son expérience. Claudine évoqua la vibration qui prenait place en elle. Sami prit la parole.

    • Je ne sais pas si c’est en lien, mais il y trois jours, j’ai revu mon père. Je ne l’avais pas rencontré depuis 5 mois. Nos relations étaient plus que distantes. Je suis allé chez lui, je ne savais pas trop pourquoi, je suis entré, il regardait la télévision. Je lui ai dis bonjour. Je l’ai embrassé, je ne portais plus le même regard sur lui. Je voyais la vie de cet homme qui était mon père et le fait qu’il soit mon père était quelque chose d’infini pour moi, il était mon point de départ et j’étais son point d’aboutissement. Je le reconnaissais dans ses souffrances, dans sa solitude, dans ses difficultés à communiquer. Le lien était renoué. Je crois qu’il a senti quelque chose. On a échangé quelque banalité, il s’est levé et m’a offert une bière. La télé était toujours là, mais j’ai ressenti qu’elle ne servait que d’amortisseur à notre rencontre. Je crois qu’il a senti quelque chose. Lorsque je suis sorti, il m’a dit merci, je l’ai embrassé à nouveau, je lui ai dit aussi merci. Depuis une douceur particulière ne me quitte pas.

     

    Lorsque Philippe appela Michel, celui-ci en fut surpris, il avait suivi l’aventure sans participer aux rencontres chez Emeline. Ses obligations familiales ne le lui permettant pas. Claudine avait évoqué son rôle dans le groupe et un spécialiste des réseaux pouvaient être la personne ressource nécessaire. Comment contacter le plus de personnes possible en même temps ?

     

    Claude prit la responsabilité de prendre rendez-vous avec l’animateur surbooké, il savait qu’il y avait une chance sur quatre, de pouvoir effectivement le rencontrer. A 17 heures, Claude frappa à la porte.

    • Entrez, entrer, alors Claude, tu veux me voir, j’espère que ce n’est pas pour la prime de fin d’année, dit-il en riant.

    Il est vrai qu’en d’autres temps, il représenta le personnel dans de drôles de négociation pour faire entrer le code du travail dans cette entreprise de « ouf », il avait bien eu du mal à se faire prendre au sérieux tant la manière de concevoir l’intérêt collectif pouvait être différent entre ce personnage médiatique et les salariés de l’ombre. Mais en s’asseyant sur certaines de ses convictions syndicales un peu trop rigide, il avait su convaincre que le succès en le partageant pouvait aussi être une sacrée réussite.

    • C’est un peu ça répondit Claude

    • Non, va voir Catherine pour ça, pas moi, tu m’as déjà fait le coup, tu sais que je me suis sacrément fait engueuler après, je me suis fait traiter de démago.

    • Non, non, la prime elle est pour toi, je crois, alors écoute-moi ….

    • Tu me baratines, Claudine, Emeline, Issa, Michel, Igor, Rachel et Grégoire, Sami … c’est un complot, arrête de déconner, je n’ai pas le temps, vous voulez me faire passer pour un fou, après les boeings qui ne seraient pas tomber sur le pentagone, le mec qui connaît à l’avance les résultats du loto, c’est n’importe quoi, c’est un remake de surprise surprise, c’est mauvais en plus, non laisse tomber, oublie ça, je t’aime bien mais oublie.

    • T’es pas en direct, le mec, tu le reçois, il te donne les numéros et le ticket sous enveloppe cachetée, tu lui poses trois questions, au cas ou. Puis c’est fini, si c’est bon, t’es au top, si c’est pas bon tu coupes, on en parle même pas, ça fait un mois qu’on tourne cette histoire, on a vérifier, ça c’est passé trois fois, il se passe quelque chose Thierry, et c’est pas pour ton anniversaire.

    • Non, non, non, vous avez fumé des trucs qui faut pas les gars, des dingues il y en a partout, vous vous faites avoir, faite gaffe, dormez, prenez des vacances, mais arrêter vos délires, et qu’es-ce que j’en fais moi de son ticket, c’est un truc sponsorisé par la Française des Jeux.

    • T’as aucun risque Thierry, on n’est pas des clowns, on bosse ici, tu me connais un peu, je suis pas le premier à faire des blagues, on dit que j’ai pas trop d’humour, je ne suis pas seul, en plus de ceux que je t’ai dit, il y a Bénédicte, François et Anissa, on est dix. Si c’est une connerie, je bosse 3 mois gratuit, je te fais le papier, je signe tout de suite.

    • Et alors, supposons qu’il est le coup de cul du siècle que ça tombe juste, je fais quoi moi.

    Claude sentit que c’était bon, qu’il était sur la bonne voie.

    - Tu t’occupes de rien, il vient tu lui poses les questions que tu veux, il est peintre en plus, tu reçois jamais de peintre.

    • C’est ton cousin, tu veux que je lui fasses de la pub, ou quoi … j’y crois pas, va me chercher ceux qui sont là, putain j’ai pas que ça à faire les salariés hallucinent, putain

    Dix minutes plus tard l’ensemble du groupe témoignait de ce qui concernait les boules du loto, mais rien d’autre ne fût dit.